L’importance de prévoir l’imprévisible
Cela fait 25 ans (wow! le temps passe) que je fais du plein air de façon autonome un peu partout en montagne, en randonnée surtout, en ski un peu. Des terrains escarpés, des lieux éloignés, des endroits peu fréquentés, des petites et des moyennes montagnes mais aussi des randos mollo, pas loin. Seule parfois, mais le plus souvent à deux puis à trois, quatre et enfin six quand les enfants ont tous embarqué. Et durant 25 ans, on peut dire que j’ai été très chanceuse car il n’est jamais rien arrivé de majeur durant ces petites et grosses aventures, à moi ou à mes partenaires de plein air.
La plupart du temps, on essaye d’être bien préparés : prévisions météo, linge de plus, nourriture et eau, trousse de premiers soins, préparation du trajet, équipement adéquat. Mon chum a étudié en tourisme d’aventure, alors c’est sûr que je pars en me sentant en confiance. Nous avons même tous les deux suivi un cours de secourisme en régions isolées avec Sirius Wilderness Medicine pour apprendre le b.a.-ba du quoi faire dans le bois quand ça tourne mal. On espère ne jamais avoir besoin d‘utiliser les trucs appris dans ce genre de cours. Jusqu’au jour où une bad luck arrive. Comme il y a trois semaines…
Nous étions pris à Murdochville, en Gaspésie, durant l’une de ces grosses tempêtes qui bloquent toutes les routes dans ce bout de pays. Une température peu clémente pour rouler en auto mais parfaite pour skier. Alors nous avons décidé de nous rendre sur le Mont Porphyre, accessible directement en ski de la ville, pour profiter en couple de toute cette poudreuse. On parle ici d’un petit 2,5 km (environ 1 h) d’approche avant de pouvoir atteindre les champs de neige des sous-bois. C’est lors de la deuxième descente que l’incident a eu lieu. Un accident bête, comme c’est souvent le cas. Je ne suis pas téméraire en ski. Ce n’est ni un arbre arrivé trop vite, ni un saut manqué, mais simplement ma fixation qui a lâché dans un virage, comme ça, sans raison. Mon corps qui va dans un sens, ma jambe de l’autre. J’ai entendu et senti deux claquements et me suis effondrée au sol. La douleur s’est rapidement dissipée, mais je savais que ce que je venais de ressentir n’était pas bon signe. Mon chum m’a rejoint, on a rapidement évalué la situation : pas de coup à la tête, pas de fracture, douleur gérable. On choisit d’essayer de redescendre. Avec le recul, c’était une erreur. Une erreur due à mon excès de confiance du genre « j’suis capable, je vais gérer ». Car dès que je remets du poids sur ma jambe blessée, une autre série de claquements et pouf, au sol.
PS. J’ai même un sourire là-dessus… précisons que le mental fait toute une différence dans une situation d’urgence.
Là, je sais que je ne rentrerais pas sur mes deux jambes, qu’il va falloir qu’on me sorte de là. Je reste calme, nous mettons en pratique les choses apprises dans notre cours de premiers soins et cette fois, prenons les choses dans l’ordre. Mon chum immobilise ma jambe avec un matelas autogonflant et les straps de ski qu’il avait amenés, j’enfile ma grosse doudoune et mes mitaines pour me mettre au chaud, prends une gorgée d’eau puis je me traine sur les fesses jusqu’à un petit replat d’un ancien sentier pendant qu’il ramasse tout le stock (sac à dos, skis, etc.). Nous avons un traineau d’urgence dans notre équipement et envisageons que mon chum me tire jusqu’en ville, donc sur près de deux kilomètres tout seul, avec le défi de la pente en plus… On sait que ça va prendre le reste de la journée, que ce sera difficile, que la nuit va tomber quand même vite et qu’il fait – 15 °C. Nous ne sommes pas loin de la ville, de la station du Mont Miller où se déroule le White Lips. Et le réseau cellulaire entre! L’option la plus raisonnable semble être d’appeler les secours pour une évacuation; et j’apprécie alors d’être membre de la FQME qui m’offre une assurance pour ce genre de situation.
Les secours sont rapidement arrivés en ski-doo et m’ont prise en charge très efficacement. Comme j’étais déjà stabilisée, ça a été d’autant plus rapide. Installée dans le traineau d’évacuation, emmitouflée dans une couverture de survie et des couvertes, l’équipe m’a amenée directement à l’hôpital de Murdochville. Entre le moment de l’incident et celui où l’infirmière m’a installée sur la civière, il s’est déroulé tout au plus 1 h 30. Je suis certaine que c’est un record de rapidité! Et pourtant, ma température corporelle était à 36 °C… on ne parle pas d’hypothermie, mais j’étais bien heureuse que cette mésaventure me soit arrivée cette journée-là, et non la veille où nous étions sur le Mont Lyall par – 40 °C.
Au final, je m’en sors avec une rupture du ligament croisé antérieur et des entorses aux deux ligaments collatéraux. Donc même si mon année sera sous le thème de la rééducation, ce n’était rien de très grave. Mais cette mésaventure m’a fait réfléchir à toutes ces autres fois où nous avons été un peu imprudents, où nous n’étions peut-être pas si bien préparés, ou mal équipés. À toutes ces fois où je suis partie sans avoir de formation de premiers soins, notamment avec mes enfants. À toutes ces fois où nous n’avions pas de moyen de communication adapté. À toutes ces fois où nous avons oublié notre trousse de premiers soins, surtout pour les petites randonnées à la journée. La théorie reste un peu abstraite jusqu’à ce qu’on soit confronté à une situation plus délicate qui la rende alors beaucoup plus (trop!) concrète.
Bien sur, je ne vais pas m’empêcher de repartir en famille ou en couple faire du plein air. Nous aimons trop ça. Mais maintenant plus que jamais, je mesure l’importance d’être bien préparé et d’avoir suivi un cours de premiers soins, et je sais que je vais toujours m’efforcer pour mes prochaines sorties de prévoir l’imprévisible.