La mince ligne de l’anxiété parentale en plein air

J’ai souvenir d’un épisode hivernal banal de mon enfance: j’étais resté prisonnier dans la neige à la suite d’un saut. Marquant fut-il car il constituait la première forme d’anxiété à l’extérieur que je ressentais. J’étais seul, pas tout à fait en danger, conscient de ma vulnérabilité : j’ai ressenti une forme de panique qui jusque-là m’était étrangère. Après maints efforts, je me suis dépêtré.

Le petit garçon maintenant devenu papa ressent encore, à des degrés divers, cette anxiété lorsque je me retrouve en plein air avec mes enfants. La première sortie hivernale, ce fut justement l’affolement. Puis au fil des activités, davantage une forme de questionnement, de constante remise en question à propos des « et si…? » possibles. Maintenant, je vis mieux avec cette appréhension qui plane quand je profite des grands espaces avec ma famille. Suis-je normal? Absolument. Je crois d’ailleurs que cette anxiété est saine, et que ne pas la ressentir peut-être synonyme d’anormalité, justement.

La promenade paranoïaque

Début décembre, moins dix degrés; les premiers froids qui ne le sont que parce nous n’y sommes guère habitués. Le soleil, le porte-bébé, les crampons : je planifie une petite promenade au centre plein air avec mon garçon, âgé de 14 mois. Arrêt en refuge pour manger, se réchauffer. Tout va bien… jusqu’à ce que tout aille mal!

Il refuse de manger, rejette son biberon (le tout patiemment réchauffé à l’aide… d’un réchaud portatif!), refuse même la barre-tendre, se met à pleurer. J’essaie de démarrer un feu, mais mon petit bonhomme nécessite toute mon attention. Bon, on va revenir au point de départ alors! L’escalade grandit en chemin : il est inconsolable. Je vérifie la couche, la température des extrémités, son hydratation; tout est nickel. Je repars sur les sentiers. Même la suce n’arrête pas son calvaire; parlant de suce… oh non! Elle est tombée en chemin! Une suce blanche dans la neige, évidemment. Rebrousser chemin pour la retrouver? Je ne suis pas certain, je me sens de moins en moins en contrôle de la situation. Ma machine à anxiété s’emballe alors : « Et s’il s’était gelé un pied? Et s’il était trop habillé? Et si le porte-bébé le blessait? Et si…?» J’ai fini la randonnée en courant, tellement j’étais inquiet. Arrivé au chalet d’accueil, après avoir brassé dans ma tête ma responsabilité quant à une future amputation ou les conséquences traumatiques de son futur avenir d’aventurier, je le déshabille, vérifie tout, paniqué; il éclate de rire et répond : « Encore, papa ».

J’avais vécu un stress parental normal, mais amplifié par les conditions. Parce qu’en plein air, comme ce que j’avais ressenti quand j’étais petit garçon, on n’a jamais le plein contrôle : nous sommes davantage vulnérables, de toutes sortes de façons. Il est conséquemment normal d’être inquiet, surtout lorsque nous sommes avec nos tout-petits. Il faut savoir comment doser et gérer cette angoisse.

Un signal à écouter

Les éléments-clé d’une sortie familiale dans les grands espaces sont la préparation, l’expérience et la connaissance du groupe. Qu’on soit dans la forêt avoisinante ou dans un refuge à quelques heures de marche de la civilisation, il est sain (et nécessaire) de se poser constamment des questions à propos de ces trois paramètres. À la suite de la ballade racontée ci-haut, j’ai compris après coup que j’avais failli dans les paramètres : ce matin-là, c’est d’abord la connaissance de mon petit compagnon de randonnée que j’avais sous-estimée. Si ce n’était pas la première fois que j’amenais mon garçon avec moi en plein air, ce l’était en période hivernale. Aussi, j’avais commis quelques erreurs au niveau de la préparation : j’emporte désormais deux suces (ou, à tout le moins, un attache-suce) lorsque je pars à l’aventure. Finalement, j’ai appris à relativiser : j’étais en nature, mais dans un milieu urbain, dans des sentiers balisés, pas très loin des installations de l’accueil. Ma réaction était exagérée. Ç’aurait été autrement si j’avais été en milieu isolé; en tel cas il faut redoubler de vigilance à propos des trois assises d’une sortie en plein air nommés auparavant et savoir quoi faire en cas de pépins.

De plus en plus facile

Si les premières sorties peuvent être une source de tracas, le plaisir croît assurément avec l’usage. Davantage nous sortons avec nos enfants, davantage notre tolérance s’équilibre (et la leur), entraînant une meilleure gestion de cette anxiété qui résulte en un maximum de plaisir. S’il faut écouter cette petite voix parentale intérieure dont la fonction est de s’assurer que nos petits amours sont en sécurité et apprécient leur sortie, savoir la jauger se maîtrise avec l’expérience acquise au cours des sorties. Je ne crois pas qu’il faille l’ignorer; elle est un ange gardien qui nous assure à la fois du bon déroulement de nos sorties mais aussi de notre efficacité et de notre maîtrise, peu importe la situation. Le plus difficile demeure de lui conférer une importance qui nous rassure en tant que parent, et non le contraire.

À ceux à qui on reproche d’être parent-hélicoptère ou maman/papa-poule, je soulignerai que la vigilance associée à ce comportement s’avère un essentiel lorsqu’on se retrouve en plein air. Bien entendu, pour ma part, c’est dans une optique de découverte, d’apprentissage et d’adaptation que j’amène fréquemment ma famille dans toutes sortes d’aventures en plein air. Sans être constamment à leurs côtés et à les surprotéger, je sais que je saurai quoi faire en cas d’anicroches (qui, en plein air, peuvent aussi bien être… le morceau d’écorce ramassé puis égaré quelques mètres plus loin), mais surtout que je serai en maîtrise de mes propres réactions face aux évènements. Et je suis persuadé que ma famille n’attend rien de moins de moi.

Rédigé par Guillaume St-Pierre – Au pied de la Lettre